1 août 2007
«Cela nous le savons. La Terre ne nous appartient pas ; nous appartenons à la Terre… Quoiqu’il arrive à la Terre arrive aux enfants de la Terre. Nous n’avons pas tissé le tissu ; nous en sommes simplement un brin. Tout ce que l’on fait au tissu, c’est à nous-même que nous le faisons.»
Chef Seattle (1786-1866)
Edito, profession de foi et hommages aux aînés.
Écrit à l’ombre du château imprenable des Comtes de Foix, merci Gaston Phoébus !
C’est depuis le village d’Ariège où s’est établi le « Guetteur de l’aube », que le philosophe Pierre Bayle (1647-1706),ce précurseur du Siècle des Lumières, dut s’exiler en Hollande parce que résistant au royal pouvoir catholique-romain. Sa devise, véritable phare pour nous aujourd’hui, « Je suis citoyen du monde, chevalier au service de la vérité », traduit admirablement la philosophie de votre serviteur. Ce n’est pas pour rien que Bob Dylan (et son ami Hugues Aufray en France) chantait il y a plus de 40 ans « The times they’re a- changing… »(1), car n’est-ce pas là le propre des poètes visionnaires que d’annoncer les temps à venir ? Aujourd’hui, nous pouvons chanter avec lui :« The times they are coming ! » En effet, beaucoup devront désapprendre pour comprendre. Comprendre en particulier qu’il est d’autres manières d’être au monde… « L’Occidental ne vit pas il fonctionne. » disait Gandhi. Le modèle dominant du matérialisme aveugle de l’Occident, glorifiant l’ancien paradigme du diviser pour régner, appartient déjà au passé. Il fonctionne encore par la force de l’habitude tout comme un bateau court sur son aire après qu’on en ait amené les voiles.
«Si nous ne vivons pas comme des frères, nous mourrons comme des fous.» affirmait Martin L. King, plus jeune Prix Nobel de la Paix à l’age de 36 ans en 1964, assassiné en 1968.
Ainsi les supposées hiérarchies de castes, de couleurs de peau et les divisions de croyances au nom d’une même divinité touchent bientôt à leurs fins et résonne encore à nos oreilles la chanson « War » du regretté Bob Nestor Marley. Il reprenait le discours prononcé en 1963, au siège de l’O.U.A. dans la capitale d’Ethiopie, Addis Abeba, par le Ras Tafari, plus connu sous son nom de monarque, Haïlé Sélassié, roi des rois, Négus, Empereur d’Ethiopie (1892-1975). Lui, le dernier descendant de la plus ancienne dynastie de cette planète, remontant au roi Salomon et à la reine de Saba (Xe siècle avant J.-C.), proclamait : « Jusqu’à ce que la philosophie qui soutient l’existence d’une race supérieure et d’une autre inférieure, soit discréditée et abandonnée de façon permanente, jusqu’à ce qu’il n’existe plus de citoyens de première et de seconde classe au sein d’une nation, jusqu’à ce que la couleur d’un homme n’ait pas plus d’importance que la couleur de ses yeux, jusqu’à ce que les droits fondamentaux des hommes soient garantis à tous, de façon légale et sans considération raciale, jusqu’à ce jour, le rêve d’une paix durable, l’ambition de devenir citoyen du monde, et l’existence souveraine d’une morale internationale, ne seront qu’une illusion fuyante (…) et nous ne connaîtrons pas la paix… ». N’oublions pas que son discours de 1936 devant la Société des Nations (ancêtre des Nations Unies) s’était avéré prophétique concernant les invasions nazies qui s’ensuivirent en Europe !
Il est plus que temps de préparer l’avenir auquel nous force cette transition délicate qui précède l’année 2012(2), au cours de laquelle nous verrons les derniers devenir les premiers. Quant aux actuels premiers, s’ils n’abandonnent pas leur arrogance pour ouvrir leur cœur, alors, paix à leurs cendres bientôt refroidies… Nous devons beaucoup à la sagesse amérindienne qui nous rappelle que nous sommes tous UN, In lakesh : je suis un autre toi-même, disent les Maya.
Tandis que l’armée U.S. massacrait son peuple, le chef Joseph, de la tribu Nez-Percé, proclama « Vous pouvez tuer nos corps mais vous ne tuerez pas nos esprits et nous reviendrons sous la forme de vos propres enfants. » Un siècle après, apparaissait la génération hippie(3) qui portait les cheveux longs comme les amérindiens dont elle redécouvrit la vision écologique qu’elle retrouva ensuite sur les routes de l’Inde et d’ailleurs. Alors que l’Occident s’égarait, le bon sens paysan aidant, les jeunes néo-ruraux écologistes se feront accepter dans les campagnes françaises qu’ils font revivre aujourd’hui. Un peu de reconnaissance s’impose aujourd’hui à l’égard des écologistes de la première heure qui ont développé une vie autonome en harmonie avec la nature ainsi préservée. C’est à leur vision anticipatrice et à leur ingéniosité que nous devons la nourriture bio, les énergies alternatives, l’essor des médecines douces, l’éco-construction et les tentatives de commerce équitable, pour faire bref. N’oublions pas l’écologie intérieure, pour reprendre l’image de Marc de Smedt, le directeur du magazine Nouvelles Clés, selon laquelle « à quoi cela servirait-il d’avoir un jardin superbement entretenu si la maison est une porcherie ?… » De quoi méditer, de nos jours où Hamlet s’interrogerait en ces termes : « Être ou paraître, that’s the question ? »
Force est de constater que l’Occident gavé aux fast-food et à la T.V., produit plus d’obèses et de malades que nulle part ailleurs sur la Planète, pour le plus grand profit d’une cohorte de charognards, subventionnés par Bruxelles et par la Sécurité sociale.
Serge Gainsbourg ne disait-il pas « Les salauds vivent du travail, de la maladie et de la misère des imbéciles et se servent d’eux pour neutraliser ceux qui s’en rendent compte. » Si vous poursuivez la lecture de ce magazine c’est que vous avez choisi votre camp, à moins que ce ne soit par curiosité… Soyez les bienvenus, car même si pour certains le réveil sera brutal, il n’en sera pas moins salutaire pour tous !
« En ce qui concerne le futur, pas d’inquiétude, mais des actes. » Chandra Swami.
Or, les solutions existent et il est temps de les faire connaître au plus grand nombre.
« Notre secret s’appelle Justice. » Ahmed Shah Massoud (1953-2001) « le Lion du Panshir », assassiné le 9 septembre 2001, deux jours avant les « attentats sur les Twin Towers » à N.Y.C….
Effectivement, la justice pour tous et les idéaux que nous sommes nombreux à avoir nourri (autant qu’ils nous nourrissaient…) au fil des quinze dernières décennies, sont des concepts viables. Henri-David Thoreau, son diplôme de Harvard en poche en 1837, tourna le dos à l’enseignement pour l’étude de la Bhagavad Gita(4), ce texte sacré fondateur de l’hindouisme. Décidé à en vivre les préceptes, c’est en pleine nature que notre homme, au bord de son étang, écrivit « Walden ou la vie dans les bois », avant de devenir plus tard le chantre de « La désobéissance civile » qui fut le livre de chevet de Gandhi, inspira Tolstoï, Martin Luther King et jusqu’à notre José Bové national. Nous avons encore à l’oreille le « Imagine » de John Lennon, or l’imagination comme la pensée sont créatrices et nous sommes de plus en plus nombreux à en constater l’efficacité par l’usage de la loi d’intention/attraction, une fois que nous en avons compris le fonctionnement. Le film « The Secret », disponible en français à l’automne 2007 en offre une flagrante démonstration. « Quand le pouvoir de l’amour remplacera l’amour du pouvoir, alors nous vivrons en paix », répétait Jimi Hendrix à la suite de William E. Gladstone. Utopie, diront certains cyniques, ce qui faisait répliquer à Théodore Monod, ce grand écologiste, « ce qu’on appelle utopie relève de l’irréalisé et non pas de l’irréalisable ». Concluons avec Victor Hugo, qui proclamait que « Les utopies sont les vérités de demain ». Or demain, c’est aujourd’hui et nous voyons enfin poindre cette aube que l’humanité attend… Puisse ce numéro UN du « Guetteur de l’aube », placé sous le signe de l’UNITÉ, et les suivants vous en transmettre toute la généreuse lumière, qui rayonne de plus en plus fort… Et puisque les nouveaux itinéraires ne sont pas encore goudronnés, « bonne piste », avec le Guetteur de l’aube !
(1) Retrouvez la traduction de « The Times, they’re a- changing » en page 7.
(2) En résumé, la cosmogonie amérindienne, principalement le très sophistiqué calendrier Maya, précise que 2012 correspond au début du 6e Monde, alors que l’année 1987 marquait la fin du 5e monde… Nous sommes donc dans « l’entre deux Mondes »
(3) Hippie signifie : H : happy – I : intelligent – P : person – P : pursuing – I : infinite – E : enlightment Soit en Français : H : heureuse – I : intelligente – P : personne – P : poursuivant – I : l’infini – E : éveil
(4) La Bhagavad Gita . Ce texte sacré fondateur de l’hindouisme « écrit en sanskrit il y a 2500 ans, offre des recoupements saisissants avec les théories les plus récentes de la physique quantique et de l’astrophysique, au sujet du Big-Bang, de la structure de l’univers, ou la nature énergétique et probabiliste de la matière », nous dit Syti.net.
Erik Lefèvre
Foix, le 07/07/07 dont j’apprends, à posteriori, qu’il est le jour de « la Réharmonisation Planétaire… »
Feuilleton historique, première partie
par Salik de Bonnault
L’Agriculture
premier vecteur de civilisation et de santé
Pour la première fois nos sociétés humaines en arrivent à douter de la notion de progrès
qui jusque là les guidait…
Comment en sommes-nous arrivés là ?
C’est parce que notre civilisation prend racine avec l’agriculture dont elle est issue que l’histoire de cette dernière peut nous renseigner car :
« Quand tu ne sais plus où tu vas, retourne-toi et regarde d’où tu viens ».
Proverbe sénégalais
En fondant l’économie sur les trois piliers que sont le travail, le rendement et l’épargne (de graines à semer), l’agriculture, « fut durant des millénaires la grande industrie des hommes », nous rappelle l’historien Fernand Braudel.
En un siècle, avec l’agriculture mécanisée et chimique, cette industrie a atteint avec un travail moindre des rendements stupéfiants tout en supprimant l’épargne depuis l’invention des semences hybrides…
Certes, mais à quel prix !
D’après l’histoire officielle, tout commencerait il y a près de 20 000 ans, alors que la dernière période glaciaire bat son plein, le climat tempéré du Moyen-Orient en fait un Paradis…
Sur les bords du lac de Tibériade en Palestine, 17 000 ans avant Jésus-Christ, les chasseurs-cueilleurs récoltent blé et orge sauvages et inventent la meule dans leurs « camps d’été ». Afin de s’assurer des réserves de grains pour l’été suivant en attendant la période de cueillette, tel un trésor, les grains sont enterrés. Ô surprise, de retour l’été suivant, comme par magie ces graines enfouies sont recouvertes des mêmes plantes que celles qui les portaient et en grattant la terre pour les déterrer, il n’y a plus de grains mais seulement des racines… L’agriculture est née !
Transformées en farine, les céréales sauvages deviennent, avec la viande de la chasse, l’aliment de base de ces semi-nomades. 10 000 ans avant J.-C., les huttes rondes à murs de pierre et bases enterrées sont devenues fréquentes au Levant (côtes de Syrie, Liban et Israël), autorisant le stockage des céréales sauvages, première étape vers la sédentarisation.
Vers 8 000 avant J.-C., le semis intentionnel des plus gros grains permet les débuts de l’agriculture et très vite la sélection des meilleures semences donne de plus gros épis lors de la récolte suivante. Bien avant le chien, le meilleur ami de l’homme est le chanvre cette plante aux graines oléagineuses très nutritives et aux multiples usages que développeront les générations à venir (corde, tissus, …).
L’agriculture va permettre la sédentarisation qui enracinera la culture nomade des chasseurs-cueilleurs, donnant naissance à la civilisation.
L’agriculture et l’élevage font sortir les déesses de la fertilité de la nuit des grottes pour développer un culte de la Terre-Mère auquel viendra s’adjoindre son pendant masculin le Dieu-Soleil, père nourricier. Celui-ci par ses chauds rayons lumineux pénètre la terre et permet la croissance des végétaux (la photosynthèse) fournissant la nourriture. Par dessus tout, le Dieu soleil produit la future semence qui en perpétuant la vie assure la survie de la communauté pour l’année à venir. Ainsi naît la religion reliant l’homme à la terre et au ciel, en un axe vertical porteur d’élévation spirituelle.
Le rapprochement des naissances qu’autorise l’autosuffisance alimentaire sur-place entraîne une explosion démographique interdite aux nomades chasseurs-cueilleurs qu’un grand nombre d’enfants en bas âge freinait dans leur traque incessante du gibier. La révolution du néolithique (– 10000 à – 1000 av. J.-C.) avec la sédentarisation et l’élevage renforce la notion de territoire en donnant naissance au sens de propriété par la valeur ajoutée que connaissent les terres mises en cultures.
Les villageois sont protégés matériellement par des guerriers menés par un chef et spirituellement guidés par des prêtres guérisseurs sous l’égide d’un pontife. L’agriculture donne ainsi naissance à la civilisation et organise la société en castes ou classes hiérarchisées tout en fondant l’économie sur le principe de l’épargne d’une partie des récoltes pour le réensemencement l’année suivante. Les mariages renforcent la notion d’alliance au sein des clans d’éleveurs nomades pour maintenir la paix menacée par les querelles de territoires (pâturages, points d’eau, …).
La sédentarisation favorise le perfectionnement des savoir-faire et les artisans nourris par les « nouveaux paysans » inventent alors la technologie à commencer par la poterie pour conserver les aliments, la femme se découvre un nouveau pouvoir sur l’homme : la bonne cuisine… Reconnaissance du ventre oblige, elle s’attache ainsi un géniteur facilement volage !
Puis un potier découvrant un jour un pigment d’un joli vert décide de l’appliquer pour en décorer son pot avant cuisson. Quelle n’est pas sa surprise au sortir du « four » de découvrir une coulure dorée à la place de son pigment vert qui n’était autre que du cuivre mère… La métallurgie est née, l’Âge du Cuivre est la première étape de l’Âge des Métaux !
Le chien domestiqué pour la chasse (– 8000 avant J.-C.) devient progressivement un auxiliaire irremplaçable pour l’homme. Avec la domestication des porcs, moutons et chèvres puis des vaches, le chien devient gardien des troupeaux qu’il faut protéger des prédateurs.
Avant de devenir le meilleur ami de l’homme, le chien est le mets préféré des Mésopotamiens qui donneront bientôt naissance à la gastronomie.
Les bœufs avant… l’araire
En Europe les premiers paysans cultivent leurs champs au moyen de houes, jusqu’à l’introduction, vers 4 000 avant J.-C., de l’araire, cette charrue sans roue tirée par un bœuf, dont le soc initialement en bois sera remplacé par un soc en métal. L’Égypte antique, grâce aux alluvions fertiles du Nil, puis la Perse, développeront l’agriculture et plus particulièrement diverses techniques d’irrigation. Les évolutions de l’agriculture sont ensuite véhiculées au-delà du bassin méditerranéen par l’Empire romain dont les poètes, tel Virgile (70-19 avant J.-C.) et ses Bucoliques, exaltent les vertus pastorales et champêtres : « Le poirier en buisson, courbé sous son trésor, Sur le gazon jauni roule des globes d’or… »
Aux rituels shamaniques de communication avec l’invisible, aux moyens de champignons et plantes sauvages, l’agriculture apportera un pendant profane : l’ivresse.
« À Rome, au temps des Césars il est commun de fumer des fleurs de chanvre femelles (marijuana) lors de réunion pour « inciter à l’hilarité et à la jouissance ».
L’empereur stoïcien Marc-Aurèle, conseillé par son médecin Galien, commence la journée en avalant une dose d’opium « grosse comme une fève égyptienne et diluée dans du vin tiède ». Sous l’empire, le prix de l’opium est strictement contrôlé tout comme celui de la farine et il est strictement interdit de spéculer dessus, contrairement au prix du haschish beaucoup plus coûteux car son prix est libre. En 312 un recensement révèle que 793 boutiques vendent de l’opium dans la seule ville de Rome, et que son commerce représente 15 % de toutes les recettes fiscales. Cette consommation routinière d’opium ne troublant en rien l’ordre public ne donne pas lieu en latin à une expression équivalente à opiomane, contrairement à la douzaine de termes pour désigner l’alcoolique. Le vin étant source de conflits personnels et collectifs est interdit aux femmes et aux hommes de moins de trente ans. Dans sa forme originelle le rite eucharistique est nécessairement précédé d’un jeûne rigoureux, comme tant d’autres mystères païens, car après plusieurs jours passés à se nourrir d’eau et de pain, un simple verre de vin possède l’efficacité de plusieurs. Le soulagement de la rigidité, la « relaxation » induite par l’ivresse, telle est pour le païen, comme pour le lecteur de l’Ancien Testament, l’un des grands dons dionysiaques. Mais comme le dit Paul, il est maintenant nécessaire de liquider tout ce qui incite à une conduite « relâchée ».
La formalisation du rite eucharistique a d’abord transformé le jeûne en un simple symbole, et a ensuite réservé le vin au prêtre. Ainsi peut on conserver le noyau de toutes les religions naturelles qui est de manger et de boire la divinité, tout en écartant les substances productrices de transe. En lieu et place de la transe, on exige du vouloir croire, de la foi pure. Pour les sens, il n’y a pas de différence avant et après avoir consommé l’hostie ; c’est par la foi que s’opère le miracle qui permet de porter Dieu en soi, sous une forme physique. Pour le païen, l’euphorie, tant positive (par contentement) que négative (par soulagement de la douleur) constitue une fin en soi. L’euphorie est thérapeutique, saine, tout simplement. La foi chrétienne en revanche, veut de l’affliction, car la douleur plaît à Dieu en ce qu’elle mortifie la chair.
À partir de Constantin, les principes chrétiens obtenant une consécration légale à Rome au IVe siècle, la condamnation de cérémonies nocturnes rend illégale tout rite mystérieux de type extatique. En 391, l’évêque Théophile fera brûler la bibliothèque d’Alexandrie, provoquant la perte d’environ 120 000 ouvrages, et à partir de ce moment on détruit un nombre incalculable d’archives et de textes. Le savoir païen – et tout particulièrement celui qui a trait aux drogues – est considéré comme contaminé par la sorcellerie, et Saint-Augustin de déclarer que la connaissance scientifique est en soi « une curiosité malsaine ». Des conciles successifs condamneront à la mort ou à l’esclavage les droguistes et leurs familles. » (source « Histoire élémentaire des drogues » Antonio Escohotado, Éd. du Lézard)
À partir du VIIe siècle, sous l’impulsion de la règle de Saint-Benoît, « Prie et travaille », les monastères bénédictins développent le concept de travail collectif hérité des premières communautés chrétiennes d’Égypte et défrichent l’Europe. Les moines inventent l’agriculture à grande échelle. La forte production des monastères, tous ordres confondus, engendre un développement des marchés régionaux et opère une transformation du paysage qui de forestier devient agricole.
Terres à cultiver et outils agricoles naissent de la déforestation
Cette première forme de déforestation profite à la construction des maisons et des bateaux, à la fabrication de charrues et autres instruments aratoires, à la menuiserie, à la tonnellerie mais produit avant tout du combustible à usage domestique ainsi que pour les fours des verriers, potiers et des ferronniers fabriquant des outils agricoles et des armes.
De l’an mil à la fin du XIIIe siècle, l’agriculture connaît un essor considérable, attribué au perfectionnement des instruments.
La rotation des cultures, produisant alternativement des céréales (blé, orge, seigle, millet…) sur une parcelle et des légumineuses alimentaires (lentilles, pois, haricots, fèves…) sur une seconde, équilibre l’alimentation humaine et la composition des sols qu’une culture unique appauvrit d’année en année. La culture des légumineuses et du chanvre, cet antique héritage du bassin méditerranéen, présente le double avantage de nourrir également le bétail avec les tiges et feuilles tout en fournissant de l’azote aux sols par les racines.
Depuis l’époque gauloise, l’emploi de fertilisant sur les cultures de céréales se limite au marnage (apport de roches meubles argileuses, si possible calcaires) alors que le fumier et autres raclures des cours de fermes et de fossés sont surtout épandus sur les potagers, vergers et chanvrières.
Les Croisés rapportent de nouveaux végétaux tels que le riz et le rosier ainsi que l’alcool, distillé au moyen de l’alambic dont ils importent les plans en Europe. Depuis les croisades, les produits exotiques, en particulier les épices et la soie, engendrent l’attrait de l’Orient auprès de l’Occident. C’est l’époque du Vénitien Marco Polo (1254-1324) qui, à son retour de Chine, rapporte en Italie le procédé de fabrication des pâtes alimentaires.
La Peste noire
Les moines du Moyen-Âge, fins herboristes, cultivent certaines « simples » (plantes médicinales) dans un potager spécifique. Pour les siècles à venir, la médecine demeurera fondée sur l’herboristerie et sur le premier principe énoncé par le Grec Hippocrate, fondateur de la médecine occidentale au Ve avant J.-C. : « que ton aliment soit ton médicament et que ton médicament soit ton aliment ».
Mais encore faut-il manger à sa faim en ce Moyen-Âge féodal ponctué de famines et de maladies auxquelles vient s’ajouter en plein milieu du XIVe l’épidémie de Peste noire qui anéantit en trois ans 30 % de la population européenne ! Il faudra deux siècles à l’Europe pour retrouver son niveau de population antérieur à l’épidémie de peste qui aura entre-temps révolutionné l’économie, permettant une nouvelle avancée économique.
Les productions « vivrières » (potager et champ familial) commencent à céder la place aux cultures spécialisées et à l’élevage, plus lucratif, qui contribuent à l’exode des campagnes vers les villes.
Fin XVe, l’Empire ottoman musulman interdit aux Européens chrétiens l’accès à la Route des épices et les navigateurs aventuriers cherchent à rallier l’Inde, patrie des épices, par la mer. Colomb tentera par l’ouest et aboutira en Amérique (1492) d’où nous parviendront le maïs et la pomme de terre.
En 1498, l’ouverture de la Route des épices par le marin portugais Vasco de Gama enrichit dorénavant la gastronomie de saveurs exotiques (poivre, cannelle, vanille, noix de muscade, gingembre…), jusque là extrêmement rares, qui feront la fortune des Pays-Bas par l’entremise de sa Compagnie des Indes Orientales.
Rabelais (1495-1553), l’« Honnête Homme » de la Renaissance au savoir encyclopédique avant la lettre, doit son renom à son roman satirique « Les faits et dits du géant Gargantua et de son fils Pantagruel ». Au-delà de ces truculents personnages du folklore français, François Rabelais, ce bénédictin à la fois prêtre et médecin, prône avant Rousseau le retour à la nature considérée comme essentiellement bonne. Par extension, ce que produit la nature et qui nous nourrit mérite qu’on lui rende hommage. C’est pourquoi Rabelais se fait le chantre du bien manger… et du bien boire ! Ainsi, c’est par des vers calibrés que le texte de son poème le plus fameux, « L’oracle de la dive bouteille », dessine sur la page un flacon aux formes aussi généreuses que le contenu doit en être enivrant… La pub ne fait pas mieux aujourd’hui ! Retenons par ailleurs qu’il est l’auteur de l’adage « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme. »
Labourage et pastourage
Sully (1560-1641), principal ministre d’Henri IV, s’impose dans l’histoire de France avec sa formule « Labourage et pastourage sont les deux mamelles dont la France est alimentée, les vraies mines et trésors du Pérou ». Parce qu’il sait pouvoir s’appuyer sur la richesse agricole, Sully redresse les finances du pays, réduit la dette de l’État, remet au peuple un arriéré de 20 millions, diminue annuellement les impôts de 6 millions et dépose à la Bastille une réserve de 21 millions…
Le rendement des terres est la préoccupation majeure de l’agronomie naissante qui développe les recherches de fertilisants. Aux brûlis dont les cendres fertilisent les champs et au salpêtre ou « nitre », ce mélange de nitrates de sodium et de potassium recueillis sur les murs des étables (découvert par Glauber en 1650), s’ajoute l’épandage de fumier et de purin sur les cultures de céréales.
Les « vidanges » de Paris accumulées depuis des siècles dans les carrières de Montfaucon fournissent un produit séché aux vertus fertilisantes miracles : la « Poudrette ». Juste avant la Révolution, c’est à cet engrais que l’on doit la toute première campagne
publicitaire connue… Révolutionnaire, non ?
La Révolution : liberté de culture
La période révolutionnaire de 1789 à 1795 entraîne une mutation sans équivalent dans l’histoire de France et tout particulièrement dans le domaine agricole où les mesures principales tiennent en trois points, soulignés par l’agronome Jean Boulaine dans son Histoire de l’agronomie en France : « Liberté des cultures, c’est-à-dire de cultiver les jachères, de planter les semences au choix de l’exploitant, de récolter à la date de son choix, etc.
Possibilité d’investissement. Le bail est porté à 18 ans (au lieu de 3 à 6), ce qui permet au preneur de récolter les fruits de ses efforts d’amélioration. Possibilité de protéger les cultures contre les gibiers et contre les chasseurs qui, outre les dégâts qu’ils faisaient (1), imposaient des pratiques aberrantes pour multiplier le gibier comme l’interdiction de récolter avant que les jeunes animaux soient capables de circuler. Protection aussi contre la vaine pâture des animaux domestiques. »
L’esprit révolutionnaire permet, par la remise en question de certaines habitudes, d’appliquer des innovations issues de la recherche agronomique. Dans le domaine agricole les évolutions sont particulièrement lentes, mais le grain des pratiques nouvelles est semé, les générations suivantes en récolteront les fruits…
La consommation de la pomme de terre, rapportée des Andes en Europe au XVIe siècle par les Espagnols, ne se développa en France qu’après la Révolution sous les efforts de Parmentier.
La culture de la betterave sucrière, dont la racine pivotante charnue est très riche en saccharose (15 à 20 %), connaît un essor grandissant après l’Empire, en particulier grâce à André-Pierre de Vilmorin (1776-1862). Avec lui s’affirme la dynastie naissante des Vilmorin, sélectionneurs et grainetiers-pépiniéristes du quai de la Mégisserie à Paris qui, pour les deux siècles à venir, joueront un rôle capital dans la sélection végétale en France.
Les succès de la Poudrette (voir plus haut) suscitent un vif intérêt pour les engrais humains dont Victor Hugo se fera le chantre, n’hésitant pas à dire aux Parisiens que « ce sont des millions en or » qu’ils jettent chaque année dans la Seine. C’est ainsi que l’agriculture, par l’épandage des égouts et fosses d’aisance, amènera le Second Empire à renforcer le contrôle sanitaire. Le Comité d’hygiène et de salubrité publique appliquera une surveillance stricte à l’usage de cette forme d’engrais dans la ceinture maraîchère des grandes villes.
L’élevage s’élève…
Le cheptel français à l’état médiocre, tant en nombre qu’en qualité, se remet péniblement des ponctions opérées pour alimenter les campagnes napoléoniennes. Avec Adrien de Gasparin (1783-1862) l’agronomie se dote d’une nouvelle branche, la « zootechnie » qui traite de l’élevage. C’est par le croisement de différentes races que le cheptel bovin évoluera vers trois finalités distinctes : le travail, la viande et le lait. Les élevages ovins suivent la même évolution pour ce qui concerne la laine et la viande et avec 33 millions de têtes vers 1850 le cheptel ovin français atteint son firmament.
Quant aux quatre millions de porcs dispersés dans les fermes françaises, ce n’est qu’avec l’élevage industriel au XXe siècle que l’on se préoccupera d’en améliorer la race.
L’élevage équidé, décimé par les guerres de l’Empire, reprend son essor à partir de 1820 avec le rétablissement des haras.
À partir de 1832, Le Grand almanach du bon cultivateur prépare les esprits à l’idée d’association et d’union (coopérative) et résume ainsi la doctrine de son fondateur, le vulgarisateur agricole Jacques Bujumbura : « L’agriculture n’a qu’un parti, celui de la production ».
Au XIXe siècle : de l’acide sulfurique dans les champs…
Le fondateur de la chimie agricole, l’allemand Justus von Liebig (1803-1873), met en lumière l’importance des sels minéraux dans la croissance des plantes. Liebig suggère de les leur fournir sous forme d’engrais « chimiques » obtenus par extraction minière et plus ou moins transformés par l’industrie chimique. Les phosphates, la silice, les bases et les composés azotés ouvrent la liste des substances nutritives destinées à la fertilisation.
Aux os broyés et pulvérisés sur les champs on ajoute de l’acide sulfurique pour rendre les phosphates de calcium plus solubles, ce qui aboutit en 1842 au dépôt du brevet des super-phosphates, donnant le coup d’envoi de la fabrication d’engrais chimiques.
En 1853, le Français Charles-Frédéric Gerhardt (1816-1856) en synthétisant le premier l’acide acétylsalcylique, de l’écorce de saule (utilisée par Hippocrate dès 460 av. J.-C.) et l’acide spirique de la reine-des-prés (aussi appelée Spirée) invente l’Aspirine. Il ouvre la voie à la chimie de synthèse pharmaceutique. Ses positions doctrinales lui valent les foudres du monde scientifique et politique, il est écarté de l’Université de Paris et du Collège de France et meurt méconnu à 40 ans. L’Allemand Hoffmann reconnu comme l’inventeur de l’aspirine en 1897 s’appuiera sur ses recherches.
En 1900 la « redécouverte » des lois de Mendel (R.P. Mendel 1822-1884) avec ses petits pois lisses et ses petits pois ridés, va permettre une percée spectaculaire dans la génétique des plantes grâce à la publication de son ouvrage sur l’hybridation des plantes.
Salik de Bonnault
1. Le droit à la chasse et le privilège du colombier (seul le seigneur pouvait élever des pigeons qui dévastaient les céréales) supprimés la nuit du 4 août 1789 lors de l’abolition des privilèges.
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Guetteur de l’aube n°2